Avec mes yeux d’enfant, je le voyais très grand.

L’herbe y était grasse, tout ce qu’on y plantait poussait. Il faisait le tour de notre maison mitoyenne d’un côté. Mon père avait réalisé des massifs et des parterres de fleurs avec des bordures arrondies. Un seul rectangle consacré aux rosiers trouait la terrasse. De temps en temps il changeait les pieds des roses, passant de roses aux pétales de velours écarlate, à des roses pâles très odorantes dont le parfum très entêtant me faisait penser à du savon. Il y avait une haie de thuyas qui faisait le tour du jardin. De temps en temps entrecoupée de troènes et de lauriers. Derrière la maison la haie était rachitique. Ce qui tranchait avec le reste extrêmement dense et fournie. Elle était rachitique à cet endroit, car c’était par-là que nous passions pour aller chez les voisins. La terre y était toute tassée des passages répétés de nos pieds d’enfants. Et quand je rentrais de l’école, passer par les jardins était plus court, même si cela nous a été maintes fois reproché, la tentation était trop forte, c’était un peu comme un passage secret.

La haie était pleine de petites bêtes. Mon père capturait des araignées des jardins très élégantes, petites et zébrées noires ou brunes. Pour nous amuser il leur donnait un insecte à manger pour nous montrer comment les araignées tissaient leur toile. Après coup, je crois qu’il les relâchait quand nous nous en désintéressions. Mon père nous avait également installé un bac à sable, avec mon petit frère nous jouions aux petites voitures dedans, en creusant des parkings. Le dimanche, on entendait les cloches de l’église du village. Et mon père adorait ça.

Au fond du jardin, il y avait un cytise. Ses grappes de fleurs jaunes pendaient telles des fruits, et finissaient par s’éparpiller sur le sol, formant un contraste des plus saisissant, de pétales dorés sur l’herbe verte. Dans les massifs, mon père a planté des iris, des bleuets, des glaïeuls, des bonnies, des pivoines, des jonquilles, et plein de tulipes. Quand il n’y avait plus de place dans les massifs, il plantait des fleurs autour des arbres. De temps en temps nous en cueillons pour faire un bouquet à mettre dans le salon.

A la belle saison, toutes ces fleurs attiraient les papillons. Des petits bleus, des petits blancs, surtout. Sur le côté de la maison, mon père avait planté un grand massif d’hortensias roses et blancs.  Et des petits pieds de framboises et de fraises des bois. Ces dernières étaient d’ailleurs régulièrement dévorées par mon frère et moi : la récolte n’atteignait que rarement le seuil de la cuisine. Plus tard, c’est aussi à cet endroit que mon père replanta les sapins de Noel, qu’il achetait toujours avec les racines ; une nuit d’ailleurs, quelques jours avant Noel, des voleurs sont venus déterrer et emmener le plus beau d’entre eux. Un drame pour moi. Et un trou dans le jardin.

Devant la maison, un bouquet de saules. Et un autre derrière aussi.  Ainsi qu’un sapin, immense un peu plus loin, dans un autre massif, au pied duquel il avait mis quelques myosotis. Et du lierre, je crois bien. Parfois il y plantait aussi quelques primevères à la venue du printemps. Sur le côté de la maison, deux arbres se répondaient, un saule dont j’aimais peler l’écorce tout doucement, telle la peau qui pèle après un coup de soleil et un arbre un peu plus tortueux, je n’ai jamais su ce que c’était. Mais j’adorais y grimper, salissant au passage mes vêtements car il était recouvert d’une fine mousse gris-verdâtre.

L’été, sur la terrasse, nous jouions au tennis, avec les petites voisines d’à côté, la haie de thuyas nous servant de filet. Je m’entraînais aussi à faire le poirier sur le mur de la maison. J’ai joué au cerceau, au foot, fait des entrechats avec des rubans. J’ai chassé le dragon et le prince charmant aussi. Quand il faisait trop chaud, mon père sortait le tuyau d’arrosage et remplissait une petite piscine à boudins. Le bonheur parfait tenait dans cette petite baignoire extérieure, dont l’eau était parsemée de brins d’herbe.

L’automne amenait son lot de feuilles mortes qu’il fallait ramasser. Mon père possédait un grand râteau rouge, en forme d’éventail. Et parfois il nous donnait la mission de le faire à sa place, moyennant une petite rétribution financière, vite dépensée en bonbons au village.

L’hiver, le jardin se couvrait de neige. Nous sortions faire des batailles, des bonhommes, des igloos (oui des igloos, il y a avait beaucoup de neige, l’hiver). Une fois mon père a même réalisé une famille ours, en neige (il en était d’ailleurs très fier). Et les bonhommes que nous fabriquions restaient tout l’hiver.  C’était la période où nous donnions le plus à manger aux oiseaux. Ces derniers devinrent habitués. Au bruit de la porte du jardin, ils arrivaient, se posant sur les arbres. Nous leur donnions aussi du beurre et des boules de graisses avec des graines, que nous pendions aux arbres.

Au printemps, l’herbe grasse se couvrait de rosée matinale, et j’aimais y courir pieds nus.

Un jour mon père m’a donné un petit bout de terre. J’y ai planté des pommes de terre, j’y ai enterrée ma tortue d’eau malencontreusement décédée, au terme d’une cérémonie très émouvante. J’y plantais mes noyaux de pêche et d’abricots. Sans grand succès d’ailleurs. J’achetais la revue « je jardine avec Nicolas », et j’essayais de suivre ses conseils. Et puis surtout il y avait souvent associé à cette revue des petits paquets de graines, que j’aimais semer dans le jardin.

J’aimais ce jardin. J’aimais sentir l’odeur de l’herbe coupée un peu mélangée, c’est vrai à celle de l’essence, quand mon père y passait la tondeuse.  J’aimais regarder le changer de couleurs, au fil des saisons. J’aimais y voir voler mes bulles de savon.

Puis nous avons dû déménager. C’est le cœur en miette que j’ai dessiné le panneau « à vendre ». Mon père m’avait demandé de le réaliser pour l’accrocher à la fenêtre de la maison.

Nous avons retrouvé une maison en région parisienne, avec un tout petit jardin. Mais le cœur n’y était pas, ce n’était plus pareil : « ici rien ne pousse », ai-je entendu un jour mon père murmurer à la fenêtre. Il n’y a jamais vraiment neigé. Et ici pas de son de cloche. De plus, les araignées y sont vraiment grosses et hideuses, brr.

Cependant, au fond de ce tout petit jardin, il y a un catalpa. Un jour mon père m’a dit :  » tu vois cet arbre est ridicule il est le dernier à avoir ses feuilles et le premier à les perdre ».

Mais la couleur d’un vert très tendre de ces larges feuilles est vraiment spéciale. J’ai su, bien plus tard, qu’en fait cet arbre lui rappelait la maison de son enfance. Son jardin magique à lui. Et c’est probablement pour cela qu’il aimait s’assoir dessous, pour lire.

Cela va faire 5 ans, papa, que tu es parti pour un jardin éternel.

Tu nous manques terriblement.

 

 

7 commentaires

  1. Très beau texte !
    Je me suis reconnue dans cet écrit, c’est dingue comme l’odeur d’herbe fraîchement tondue constitue une madeleine de Proust pour beaucoup d’entre nous !
    Je suis triste de savoir que tu as perdu ton papa, mais c’est bien que tu aies gardé ces bons souvenirs de lui !

  2. Ca mériterait un tableau colorié avec tes crayons de couleurs de Noël, non ?
    Mais, déjà rien que lire, on le voit…

  3. Des pensees pour ta famille et pour toi. Ton pere etait une belle personne. Merci de nous avoir permis de le connaitre un peu. Quels jolis mot pour en parler et quel bel hommage. <3

  4. Socles de notre parcours, les souvenirs d’enfance sont précieux. Enrichis de ces moments intenses, et guidés par ces valeurs d’ancrage, nous pouvons alors nous construire.
    Une bien belle émotion à la lecture de ces lignes et une pensée particulière pour toi et tous ceux qui t’entourent….

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