Cela se passe en 2005.
J’ai décroché un contrat temporaire sur un projet qui réunit presque toutes les compagnies pétrolières du monde, je suis donc sous pression car si j’échoue, c’est un raté d’envergure internationale….
Je n’oublie pas de chercher à côté un travail en CDI, et pour cela j’ai de bons contacts avec un petit bureau d’étude, à Orléans. J’ai mes chances pour un poste, à condition de réussir l’entretien d’embauche.
Seulement voilà : la responsable des ressources humaines du bureau d’étude me propose un entretien le 2 mars. Je leur explique que je pars en Algérie (pour mon étude pétrolière) et que je serai rentrée précisément le 2 mars et que par conséquent cette date ne me convient pas. Magnanime, la responsable me propose le 3 et si je comprends bien, « c’est à prendre ou à laisser ». Je leur dis que je suis d’accord, par peur de voir mon entretien annulé. Ce qui est ridicule, bien sûr. Mais à l’époque mon expérience en entretiens d’embauche n’était pas très grande…
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La mission en Algérie
Une souffrance.
La mission se passe en deux étapes, les premiers travaux ont lieu dans une carothèque (c’est un endroit où sont stockés des échantillons de sondages géologiques, qu’on appelle des carottes), un peu en dehors d’Alger. Rolex, notre contact, est la personne qui veille sur nous, et qui vient nous chercher en minibus tous les matins. Rolex n’est évidemment pas son vrai prénom, mais mes camarades l’ont baptisé ainsi à cause de sa grosse montre en or qui pend à son poignet. Nous logeons dans un hôtel 5 étoiles, pas mal du tout.
Le travail est très pénible, dehors, il fait 10-12°C, nous sommes debout toute la journée, penchés sur les carottes pour les décrire et les échantillonner, mais malheureusement, la météo ne nous épargne pas. Il pleut des rideaux d’eau tous les jours et l’endroit où nous travaillons est régulièrement inondé et boueux. Nous empilons des caisses, des morceaux de bois, avec l’espoir de nous maintenir au sec au moins jusqu’à l’heure du déjeuner. Déjeuner qu’on vient nous livrer tous les jours, froid (et en général, c’est poisson-frites), dans des boites en carton imbibées de graisse.
Evidemment, nous attrapons tous une bronchite aigüe.
Rentrer à l’hôtel (Cinq étoiles…) couverts de boue, n’est pas très discret. Nous laissons nos traces sur le marbre immaculé…D’ailleurs, nous n’avons pas le droit de dîner dans le restaurant haut de gamme (avec les émirs et tout et tout, gardé à l’entrée comme il se doit par un cerbère en habit, qui détaille, à chaque fois que nous faisons mine de nous intéresser à la carte, nos tenues vestimentaires inadéquates pour un tel endroit), et nous sommes systématiquement dirigés vers la petite brasserie de l’hôtel qui ne sert que du couscous. Il faut dire que mes collègues (masculins) géologues n’ont pas un grand sens de la présentation, et se baladent le soir en polaire orange et sandales, avec des chaussettes blanches.
Ce passage obligé dure deux semaines, puis nous prenons la route pour un camp militaire situé près de champs pétroliers, dans le désert, où il y a également une carothèque avec des échantillons à prendre et à décrire. Nous avons tous eu cette pensée : « chouette, nous allons avoir chaud ».
Alors, oui, nous avons eu chaud.
Mais le travail effectué également à l’extérieur de la carothèque s’est fait sous une tempête de vent de sable qui ne nous a pas lâchés de la semaine. Nous nous enveloppions comme nous pouvions dans nos T-shirts et nos chèches tout neufs.
Le sable s’infiltre partout. J’ai retrouvé du sable dans mes cheveux et mes oreilles plus d’une semaine après être rentrée.
Sur place c’est un peu comme le rocher de Sisyphe : pour faire l’observation scientifique sur la carotte, nous sommes obligés de la balayer du sable qui la recouvre. Et la minute qui suit, elle est ensablée de nouveau.
Et à la fin du séjour, je n’ai plus de voix.
Nous passons nos soirées à boire et à jouer au tarot en consommant du pastis pour tenir le coup (du fait de la fatigue et de la bronchite…un géologue a toujours tendance à penser qu’un bon coup d’alcool arrange la plupart des maladies, surtout en mission). Eh bien, incroyable mais vrai, on trouve très facilement du pastis en plein désert. Bien sûr, il est un peu cher, mais c’est quand même impressionnant ce qu’on peut trouver comme produits de contrebande.
Tous les matins le Muézin nous réveille vers 5h00. Je suis épuisée. Et mon taux d’alcoolémie frise celui de mon cholestérol.
Un moment de grande solitude : je suis à la cantine de l’armée. Je prends mon plateau, et me dirige vers le réfectoire…C’est alors que près de 80 soldats s’arrêtent de manger et se retournent tous ensemble pour me regarder (à l’époque en tout cas, les femmes sur le camp étaient rares). Heum……heu………du coup je détaille mes chaussures avec attention, en attendant les autres et en souhaitant ardemment être ailleurs.
Le retour est épouvantable de stress, nous devons attendre que les échantillons que nous avons collectés nous soient livrés à l’aéroport avant de partir. Je trépigne, car si je manque l’avion, je manque mon entretien avec le bureau d’étude, et ma vie est très certainement fichue…
Rolex arrive enfin avec nos échantillons, (une immense pyramide de cartons) ouf, nous partons en catastrophe les faire enregistrer.
Scrogneugneu, ils nous redirigent vers la zone de fret, à l’autre bout de l’aéroport, c’est la course, je prends les sacs de tout le monde, et mes collègues les échantillons et nous traversons en courant l’aéroport. Nous sommes la discrétion même….
Ce petit fret va nous couter quelques sous. Trêve de discussion je sors la carte bleue. Mes collègues refusent de me laisser payer, s’ensuit une conversation qui me parait une éternité sur la galanterie masculine. Oui, merci, mais bon, allez, je suis pressée !!!
La suite au prochain épisode (là tu m’en veux, non?)
« …mes collègues (masculins) géologues n’ont pas un grand sens de la présentation, et se baladent le soir en polaire orange et sandales, avec des chaussettes blanches… »
C’est les chaussettes ou leur couleur blanche qui te dérange ?
Et toi, tu portais ta petite jupe plissée, ton corsage à fleurs et tes escarpins dorés ?
🙂
sachant qu’on allait être logée là, j’avais effectivement pris une tenue « chic »(toujours prête telle est ma devise…). Mais bon, elle n’a pas servie…il a bien fallu que je me mette au diapason….